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Publié le par capucine


Ici, une lettre ouverte au Président... même les scientifiques ne sont pas épargnés : l'ignorance crasse DOIT régner !




 Monsieur le Président, vous ne mesurez peut-être pas la défiance..., >> par Wendelin Werner
 LE MONDE |18.02.09 | 13h57 . Mis à jour le 18.02.09 | 15h17

     Je ne pensais pas un jour me retrouver dans la situation qui est la mienne aujourd'hui, à savoir écrire une lettre ouverte au président de la République française : ce qui m'intéresse avant tout, et ce à quoi j'ai choisi de consacrer ma vie professionnelle, c'est de réfléchir à des structures mathématiques, d'en parler avec mes collègues en France et à l'étranger et d'enseigner à mes étudiants. J'ai eu le privilège  de voir mes travaux aboutir et récompensés par un prix important. Cela  me donne une certaine responsabilité vis-à-vis de ma communauté et me  permet aussi d'être un peu plus écouté par les médias et le pouvoir politique.  Comme le montre le sociologue allemand Max Weber dans son diptyque Le Savant et le Politique, auquel Barack Obama s'est d'ailleurs implicitement référé dans son discours d'investiture, nous devons partager une même éthique de la responsabilité. C'est au nom de celle-ci que je m'adresse aujourd'hui à vous.
     Vous ne mesurez peut-être pas la défiance quasi unanime à votre égard qui s'installe dans notre communauté scientifique. L'unique fois où  nous avons pu échanger quelques mots, vous m'avez dit qu'il était important d'arriver à se parler franchement, au-delà des divergences, car cela fait avancer les choses. Permettez-moi donc de nouveau de  m'exprimer, mais de manière publique cette fois. Je m'y sens aussi autorisé par l'extrait suivant du discours que vous aviez prononcé il y a un an lors de votre venue à Orsay pour célébrerr le prix Nobel d'Albert Fert : "La tâche est complexe, et c'est  pourquoi j'ai voulu m'entourer des plus grands chercheurs français, dont vous faites partie, pour voir comment on pouvait reconfigurer  notre dispositif scientifique et lui rendre le pilotage le plus  efficace possible. Je les consulterai régulièrement, ces grands chercheurs, et je veux entendre leurs avis." Je vous donne donc mon avis, sans crainte et en toute franchise.
     Votre discours du 22 janvier a, en l'espace de quelques minutes, réduit à néant la fragile confiance qui pouvait encore exister entre  le milieu scientifique et le pouvoir politique. Il existait certes, déjà, une réaction hostile d'une partie importante de notre communauté aux différents projets mis en place par votre gouvernement et leur  motivation idéologique. Mais c'est uniquement de votre discours et de ses conséquences dont je veux parler ici.  Tous les collègues qui l'ont entendu, en direct ou sur Internet,  qu'ils soient de droite ou de gauche, en France ou à l'étranger (voir  la réaction de la revue Nature), sont unanimement catastrophés et choqués. De nombreuses personnes présentes à l'Elysée ce jour-là m'ont  dit qu'elles avaient hésité à sortir ostensiblement de la salle, et  les réactions indignées fleurissent depuis.
      Rappelons que vous vous êtes adressé à un public comprenant de  nombreux scientifiques dans le cadre solennel du palais de l'Elysée. Je passerai sur le ton familier et la syntaxe approximative qui sont de nature anecdotique et ont été suffisamment commentés par ailleurs.  Lorsque l'on me demande à quoi peut servir une éducation mathématique  au lycée pour quelqu'un dont le métier ne nécessitera en fait aucune  connaissance scientifique, l'une de mes réponses est que la science  permet de former un bon citoyen : sa pratique apprend à discerner un  raisonnement juste, motivé et construit d'un semblant de raisonnement  fallacieux et erroné.  La rigueur et le questionnement nécessaires, la détermination de la vérité scientifique sont utiles de manière plus large. Votre discours  contient des contrevérités flagrantes, des généralisations abusives, des simplifications outrancières, des effets de rhétorique douteux,qui laissent perplexe tout scientifique. Vous parlez de l'importance  de l'évaluation, mais la manière dont vous arrivez à vos conclusions  est précisément le type de raisonnement hâtif et tendancieux contre  lequel tout scientifique et évaluateur rigoureux se doit de lutter. Nous sommes, croyez-moi, très nombreux à ne pas en avoir cru nos oreilles. Vous, qui êtes un homme politique habile, et vos  conseillers, qui connaissent bien le monde universitaire, deviez forcément prévoir les conséquences de votre discours. Je n'arrive pas à comprendre ce qui a bien pu motiver cette brutalité et ce mépris  (pour reprendre les termes de Danièle Hervieu-Léger, la présidente du  comité que vous avez mis en place ce jour-là), dont l'effet immédiat a  été de crisper totalement la situation et de rendre impossible tout  échange serein et constructif. De nombreux étudiants ou collègues de premier plan, écoeurés, m'ont informé durant ces quinze derniers jours  de leur désir nouveau de partir à l'étranger. J'avoue que cela m'a aussi, un très court instant, traversé l'esprit en écoutant votre  intervention sur Internet.  Le peu de considération que vous semblez accorder aux valeurs du  métier de scientifique, qui ne se réduisent pas à la caricature que  vous en avez faite - compétition et appât du gain -, n'est pas fait  pour inciter nos jeunes et brillants étudiants à s'engager dans cette voie. La ministre et vos conseillers nous assurent depuis plus d'un an  que vous souhaitez authentiquement et sincèrement aider la recherche  scientifique française. Mais vous n'y parviendrez pas en l'humiliant et en la touchant en son principe moteur : l'éthique scientifique.
      Comme vous l'expliquez vous-même, la recherche scientifique doit être une priorité pour un pays comme la France. En l'état actuel des choses, il ne semble plus possible à votre gouvernement de demander à la communauté scientifique de lui faire confiance.  De nombreux collègues modérés et conciliants expriment maintenant leur crainte d'être instrumentalisés s'ils acceptent de participer à une discussion ou à une commission. Les cabinets de la ministre de la  recherche et du premier ministre ont certainement conscience de  l'impasse dans laquelle vous les avez conduits. J'ai essayé de  réfléchir ces derniers jours à ce qui serait envisageable pour sauver ce qui peut encore l'être et sortir de l'enlisement actuel.Un début de solution pourrait être de vous séparer des conseillers qui  vous ont aidé à écrire ce discours ainsi que de ceux qui ne vous ont  pas alerté sur les conséquences de telles paroles. Ils sont aussi  responsables de la situation de défiance massive dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, et que votre intervention du 22 janvier a  cristallisée. Ils ont commis, à mon sens, une faute grave et c'est votre propre  dogme que toute faute mérite évaluation et sanction appropriée. Cela  permettrait à notre communauté de reprendre quelque espoir et de  travailler à améliorer notre système dans un climat apaisé, de manière moins idéologique et plus transparente. (???)  Il est, pour moi, indispensable de recréer les conditions d'un véritable dialogue. L'organisation de la recherche et de  l'enseignement supérieur est certes un chantier urgent mais, comme vous l'aviez noté il y a un an, il est d'une extrême complexité. Sa réforme demande de l'intelligence et de la sérénité. Il n'appartient  qu'à vous de corriger le tir.

Wendelin Werner, professeur de mathématiques,
Université Paris-Sud et Ecole normale supérieure,
Médaille Fields 2006 et membre de l'Académie des sciences.
Article paru dans l'édition du 19.02.09


***

Manifestement, cette scientifique n'a pas encore compris que le poujadisme présidentiel est rien moins qu'involontaire... N'assistons-nous pas à une glorification permanente de la bêtise ? Voir humilier des intellectuels est le voeu du plus grand nombre, il est aisé à satisfaire d'autant plus qu'il ne semble plus y avoir d'intellectuel combattif...


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